INTRODUCTION À LA MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI

PAUL VALÉRY

Deuxième Édition

Paris

Éditions de la Nouvelle Revue Française

35 et 37, Rue Madame


Table des matières

Note et digressions
Introduction à la méthode de Léonard de Vinci


NOTE ET DIGRESSIONS

Pourquoi l'auteur, dit-on, a-t-il fait aller son personnage
en Hongrie?

Parce qu'il avait envie de faire entendre un morceau de
musique instrumentale dont le thème est hongrois. Il l'avoue
sincèrement. Il l'eût mené partout ailleurs, s'il eût trouvé
la moindre raison musicale de le faire.


H. Berlioz. Avant-propos de la Damnation de Faust.


Il me faut excuser d'un titre si ambitieux et si véritablementtrompeur que celui-ci. Je n'avais pas le desseind'en imposer quand je l'ai mis sur ce petit ouvrage. Maisil y a vingt-cinq ans que je l'y ai mis, et après ce longrefroidissement, je le trouve un peu fort. Le titre avantageuxserait donc adouci. Quant au texte... Mais letexte, on ne songerait même pas à l'écrire. Impossible!dirait maintenant la raison. Arrivé à l'énième coup dela partie d'échecs que joue la connaissance avec l'être,on se flatte qu'on est instruit par l'adversaire; on enprend le visage; on devient dur pour le jeune hommequ'il faut bien souffrir d'avoir comme aïeul; on lui trouvedes faiblesses inexplicables, qui furent ses audaces; onreconstitue sa naïveté. C'est là se faire plus sot qu'on nel'a jamais été. Mais sot par nécessité, sot par raisond'État! Il n'est pas de tentation plus cuisante, ni plusintime, ni de plus féconde, peut-être, que celle du reniementde soi-même: chaque jour est jaloux des jours, etc'est son devoir que de l'être; la pensée se défend désespérémentd'avoir été plus forte; la clarté du moment neveut pas illuminer au passé de moments plus clairsqu'elle-même; et les premières paroles que le contact dusoleil fait balbutier au cerveau qui se réveille, sonnentainsi dans ce Memnon: Nihil reputare actum...

* * *

Relire, donc, relire après l'oubli,—se relire, sansombre de tendresse, sans paternité; avec froideur etacuité critique, et dans une attente terriblement créatricede ridicule et de mépris, l'air étranger, l'œil destructeur,—c'estrefaire, ou pressentir que l'on referait, bien différemment,son travail.

L'objet en vaudrait la peine. Mais il n'a pas cessé d'êtreau-dessus de mes forces. Aussi bien je n'ai jamais rêvéde m'y attaquer: ce petit essai doit son existence àMadame Juliette Adam, qui, vers la fin de l'an 94, sur legracieux avis de Monsieur Léon Daudet, voulut bien medemander de l'écrire pour sa Nouvelle Revue.

* * *

Quoique j'eusse vingt-trois ans, mon embarras futimmense. Je savais trop que je connaissais Léonard beaucoupmoins que je ne l'admirais. Je voyais en lui le personnageprincipal de cette Comédie Intellectuelle qui n'apas jusqu'ici rencontré son poète, et qui serait pour mongoût bien plus précieuse encore que la Comédie Humaine,et même que la Divine Comédie. Je sentais que ce maîtrede ses moyens, ce possesseur du dessin, des images, ducalcul, avait trouvé l'attitude centrale à partir de laquelleles entreprises de la connaissance et les opérations del'art sont également possibles; les échanges heureux

...

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